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12 décembre 2021

La laïcité.

 

Chaque fois qu’un des principes républicains n’est plus compris ou perd de sa force à cause de manœuvres politiques nocives, on impose aux professeurs, à l’école publique, la charge de l’enseigner ou de le rappeler, la charge d’en maintenir l’éclat autant que cela importe aux gouvernants qui s’inquiètent de sa perte.

C’est le cas pour le concept de la laïcité, qu’il fut fort à la mode d’affubler de différents adjectifs ou compléments comme si elle ne se suffisait pas à elle-même, comme s’il pouvait y en avoir plusieurs formes en fonction des groupes sociaux et religieux qui s’en saisissent pour toutes sortes de raisons. C’est trahir une ignorance malheureusement trop répandue autant que ceux qui ont élaboré ce concept fondamental pour la République ; l’article 1 de la constitution du 27 octobre 1946 en témoigne : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Ainsi présentée, la laïcité est garante de la liberté et de l’égalité de chacun devant la loi, une isonomie essentielle basée par la séparation de l’Église et de l’État, c’est-à-dire la séparation irréversible du politique et de toute communauté de croyance quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne ; le principe de laïcité garantit donc à chaque citoyen, à chaque être humain appartenant à la nation, sa totale liberté de conscience, de croyance ou d’incroyance.

C’est là le point essentiel et positif de cette notion philosophique et juridique, résultat d’une réflexion sur le pouvoir politique qui a commencé avec la démocratie athénienne et s’est poursuivie grâce à de nombreux penseurs : Platon, Épicure, Marc-Aurèle, Averroès, John Locke, Pierre Bayle, Denis Diderot, Voltaire, Rousseau, Kant, Condorcet jusqu’à Ferdinand Buisson, Jules Ferry et encore plus près de nous Catherine Kinzler et Henri Pena-Ruiz, pour ne parler que de l’Europe et de la France en particulier ; le concept s’est élaboré progressivement à partir d’une théorie politique classique, celle de Jean-Jacques Rousseau qui suppose que « la forme de l’acte » détermine l’intégralité du contrat en produisant lui-même les contractants de ce qu’il nomme le « contrat social ».

Ce moment de la réflexion est celui où se développe l’idée de tolérance, si chère au XVIIIème siècle, souvent aussi mal comprise que celle de laïcité : elle prône des principes existant aussi à l’intérieur du concept laïque, comme celui de n’être pas tenu d’appartenir à une communauté plutôt qu’à une autre, d’avoir une religion ou d’avoir une religion plutôt qu’une autre. La liberté de pensée et de culte est donc déjà un principe fondamental de cette conception politique mais la laïcité dépasse encore ces trois principes en y ajoutant l’abstention absolue de toute ingérence politique en matière de croyance, ce qui exclut toute possibilité de religion officielle, civile ou publique et l’exclusion totale des communautés confessionnelles de la politique et de l’élaboration des lois qui ne peuvent émaner que des citoyens ou du peuple lui-même en tant qu’individus politiques.

 

La laïcité, en effet, se réfère avant tout au peuple : l’étymologie du terme, apparu en 1871 dans un supplément du Littré, renvoie au « laïc » qui représente le païen chez les premiers Chrétiens, puis désigne ceux qui n’appartiennent pas au clergé. En Grèce classique, et à Athènes en particulier, l’adjectif λαϊκός (laïkos) renvoie au λαός (laos) qui est à la fois le peuple et l’armée qui défend la cité et son territoire. Le laïque d’aujourd’hui a donc hérité de celui de l’Antiquité, c’est l’individu considéré dans sa fonction politique sans aucune essentialisation, ce qui est difficile à faire comprendre à ceux qui voient la laïcité comme une doctrine, ce qu’elle ne peut pas être. La laïcité, en effet, sépare la loi, le politique et le juridique qui s’adressent à tous, de la foi, de la croyance ou de l’incroyance qui ne concernent que certains. C’est donc une notion abstraite qui rend possibles, a priori, toutes les libertés particulières, même celles qui n’existent pas encore ; elle n’est pas le moyen d’harmoniser et d’équilibrer la société, comme on espère le faire croire, elle a pour fonction principale de rendre possible toute harmonisation et tout équilibre éventuels. Ainsi, toute intervention communautaire sur la politique est une atteinte à la laïcité, toute velléité de limiter la liberté des individus pour imposer une religion ou une idéologie est une trahison de la laïcité.

 

Le lien inextricable et paradoxal entre le principe de laïcité et le principe de l’école publique ouverte à tous naît de la complexité même du principe laïque : pour qu’il soit partagé, il faut l’expliquer, en développer les éléments constitutifs, il faut instruire, c’est-à-dire construire et organiser la possibilité pour l’individu d’élaborer sa liberté et sa pensée grâce à la connaissance, à la raison critique et à l’expérience. L’instruction publique naît de ce contrat envisagé par Condorcet au XVIIIème siècle et mis en œuvre un siècle plus tard par la loi de Jules Ferry en 1882. Il a fallu ce temps pour concevoir une école républicaine qui ne tombe pas dans les travers idéologiques de l’enseignement confessionnel, pour que l’école ne puisse plus imposer aucune appartenance confessionnelle ou autre, aucun comportement induit par la société en la mettant en concurrence avec l’école privée et en établissant les lois qui rendent l’instruction indépendante des pouvoirs quels qu’il soient, afin qu’elle soit vraiment une institution productrice de liberté grâce à sa nature critique et à l’apprentissage de la liberté de penser. C’est pour cela qu’elle est liée aux humanités autant qu’à l’esprit scientifique tel que le pense Gaston Bachelard : elle instaure un espace où l’erreur et le doute ont toute leur place, pour permettre non seulement la connaissance mais aussi la construction d’une pensée individuelle et éclairée.

 

La laïcité n’empêche rien, elle autorise, au contraire, toute liberté à chacun en permettant la création d’un espace loin des contingences familiales, sociales ou religieuses. C’est pour leur permettre d’évoluer dans le sanctuaire de l’école publique que les enfants ne doivent y arborer aucun signe de reconnaissance religieuse ou idéologique, à l’exemple de leurs professeurs, fonctionnaires garants de la liberté pleine et entière des mineurs à accéder au savoir et à l’esprit critique, ce que sont les humanités comprises comme le savoir commun à tout homme. Hors de l’école, dans l’espace public, chacun fait ce qu’il veut grâce à cette même laïcité, à l’intérieur c’est la loi qui impose une forme de neutralité indispensable pour que tous se côtoient en ayant accès à la connaissance possible de toutes les convictions, de toutes les idées. L’école est alors le lieu où la laïcité se manifeste avant la liberté qui se construit grâce à elle, tout comme elle seconde l’auto-construction de l’autorité pour permettre à toutes les libertés d’advenir, à tous les individus de penser et de choisir d’appartenir ou non à une communauté.

 

La laïcité est donc un espace philosophique et politique qui coupe le lien avec une société souvent prégnante et oppressive, une société qui cherche à imposer à l’individu un comportement collectif et uniforme, les « bonnes manières » ou une croyance déterminée, comme dans les régimes théocratiques et dictatoriaux. Elle est avant tout le lieu abstrait de la pensée individuelle en formation puis en action qui contrecarre l’influence des religieux et de la société sur le pouvoir politique et sur les individus qui en sont dépositaires dans une démocratie contemporaine.

 

Anne-Marie CHAZAL - Professeur de lettres classiques - Commissaire paritaire académique du SIAES - SIES

 

Les auteurs cités ne sont pas les seuls à réfléchir à la laïcité : aux États-Unis, Thomas Jefferson (1743-1826), principal rédacteur de la Déclaration d’indépendance de 1776, propose déjà de dresser un « mur de séparation entre l’Église et l’État » pour préserver l’état de l’influence de la religion. Cf. un article intéressant :

https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/269406-la-laicite-en-france-et-aux-etats-unis-analyse-comparee 

  

"Courrier du SIAES" n° 91 de décembre 2021

    

Réévaluer la valeur du point d’indice pour enrayer le déclassement social. (éditorial de décembre 2021)

 

La réforme du lycée et du baccalauréat : une énième entreprise de démolition. (article de décembre 2021)

 

De l'écriture inclusive. (article d'octobre 2021)

 

De l'autorité scolaire. (article d'octobre 2021)

 

Hommage à Samuel Paty. (15 octobre 2021)

 

Editorial du "Courrier du SIAES" n° 87 de décembre 2020 : Refusons la soumission ! Refusons la soumission des professeurs et de notre institution devant les élèves et les familles. Refusons la soumission de l’École Républicaine devant les communautarismes et les religions.

 

Editorial du "Courrier du SIAES" n° 88 de mars 2021 : C’est curieux, chez certains profs, ce besoin de faire des frasques ! Sale temps pour la liberté dans l’école de la République.

  


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